Je viens de lire sur Internet que les chinois viennent d’inventer un «Pont sous la mer» tube suspendu entre deux eaux, tenu au fond par des corps morts permettant la circulation des véhicules à l’intérieur des dits tubes !
Encore une fois les cerveaux de nos ingénieurs français sont sans doute, pillés, car cette idée est due à l’invention de l’ingénieur Fressinet. Et je suis bien placé pour le savoir pour avoir participé pendant cinq années à un programme sur une maquette grandeur nature. Il ne s’agissait pas là d’un tube pour voiture mais tout simplement d'un dispositif pour transporter le gaz naturel d’Afrique du Nord vers l’Europe.
(Le Frioul - D.R.)
C'est donc vers le Frioul, à quelques miles au large de Marseille, que le projet sera concrétisé.....
C’est ainsi que le B.R.P. avait confié cette recherche pointue, après un appel d’offres rigoureux, à l’entreprise Campenon Bernard. Et Campenon, c’était quelque chose !
J’étais à cette époque en 1960/61/62 chef d’entreprise de l’E.T.I.M. (Entreprise de Travaux Immergés du Midi) sise à Sanary dans le Var.
Dix à vingt scaphandriers
selon les travaux demandés, essentiellement des travaux publics
sous marins dits T.P.S.M.
Pas les plus faciles certes,
mais ceux qui requéraient les meilleurs... Je n’en veux pour preuve
que le débauchage continuel de mes scaphandriers par les sociétés
de Travaux sous marins travaillant à "l’Off Shore". Un simple scaphandrier
chez moi était baptisé chef de chantier dès son arrivée
ailleurs… (?)
Aussi nous avions, avec succès, renfloué au Havre dans une mer loin d’être bleue, un ponton en béton armé. C’est mon ami et associé Georges Imbert dit Jo qui avait dirigé ces travaux délicats à la grande satisfaction de notre client Campenon-Bernard qui s’en était souvenu. Aussi les ingénieurs qui devaient prendre en main l’étude du «Pont sous la mer» s’étaient-ils vu conseiller vivement nos services par leurs collègues du Havre.
C’est ainsi que j’ai été
déclaré le sous traitant de ce grand projet, un beau matin,
me demandant d’où cela venait. D’autant plus que ce se situant à
Marseille,
où une entreprise qui est devenue une première mondiale et
qui démarrait, s’est vu "passer ce chantier mirifique sous le nez".
Son propriétaire étant devenu un ami, je préfère
ne pas le citer, bien que je suis sûr que s’il n’avait pas des Plongeurs
T.P.
(Travaux Publics) comme les miens, avait par contre largement les
capacités de mener l’affaire à bien. J’ai eu de la chance
ce jour là, surtout celle d’avoir Jo. C’est d’ailleurs lui qui a
effectué ces études du début jusqu’à la fin,
toujours à la satisfaction du client
Il faut savoir que mon ami Jo c’était quelqu’un ! Pas bruyant, d’un calme olympien (tout mon contraire) réservé, mais d’une capacité extraordinaire pour régler problème et détails au fur et à mesure que cela se présentait. Tout comme moi, il était issu du monde ouvrier, là où l’on apprenait à se servir de ses mains et des outils que l’on y mettaient. Mais Jo, c’était la classe au dessus ! Un chantier ne marchait pas, on envoyait Jo et 48 h après tout était en ordre… sans bruit et sans éclat, il n’avait fait là rien que de très normal, selon ses rapports.
Bref, nous démarrons un beau matin en embarquant au Vieux Port à Marseille à bord d’un remorqueur et nous faisons route vers le Frioul, c'est-à-dire le groupe des deux îles Pomègues et Ratonneau. C’était là que devait avoir lieu les essais pilotes de mise en place du célèbre «Pont sous la mer» de l’Ingénier Freyssinet.
Il allait falloir mettre en place un tube de diamètre 0,50 m d’une longueur de 300 mètres dans la baie situé au sud des deux îles parallèlement à la digue et cela sur un fond de 50 à 60 mètres. Le dit tube, pour jouer son rôle de "Pont sous la mer", était lui fixé à moins 20 mètres et pour ce, tenu au fond par des câbles arrivants sur des blocs de béton imposant. Ceci parait facile à énoncer maintenant sur un écran d’ordinateur, à cette époque "pionnière" c’était une autre histoire… qui a durée 5 années au cours desquelles nous avons, non seulement participé à la construction de ce gazoduc suspendu, mais aussi à tous les essais qui en découlaient.
J’ai eu au cours de certaines opérations, jusqu’à 25 scaphandriers sur place. Déjà, tous les jours, il y avait en tout début de matinée, l’inspection de l’ensemble et la vérification des amarrages. Naturellement il fallait faire une descente sans perdre de temps, le long du câble qui menait aux blocs de béton. Participant souvent aux travaux, c’était ce que je trouvais le plus agréable cette descente à 60 mètres dans une eau encore propre et claire. Après il y avait toujours des opérations en cours. Nous avons eu en particulier :
- Toutes
les photographies des enduits différents qui coloriaient le tuyau.
Je m’étais gardé ce travail que j’effectuais avec le
nec plus
ultra, un Rolleiflex et son boîtier le Roleimarin de
Hans
Hass. Eclairage avec des lampes flash magnésiques PF
110.
Les plus puissantes, surtout quand un peu d’eau de mer ayant pénétré
à l’intérieur elle vous "pétait" au nez, secouant
le
masque Squale
comme une grenade sous-marine. Quand il y en avait plusieurs de suite comme
cela, on sortait de l’eau avec
la tête
comme un tambour !
- Il y a
eu la chambre de soudure, car entre l’Afrique du Nord et l’Espagne,
le tube il devait être présenté en plusieurs
tronçons
raccordés entre eux. Alors nos ingénieurs Campenon avaient
concocté une espèce de bulle qui s’ouvrait en deux
comme une
noix à charnière. On capelait le tout sur le tube et avec
des vérins puissants on refermait l’engin. On envoyait de
l’air et
on vidait ainsi la chambre. Et c’est là que c’est devenu drôle.
Parce que il fallait que les ingénieurs y rentrent par un
sas prévu
à cet effet et les soudeurs ensuite eux aussi !
- Nous
avons organisé des cours de plongée pour tous ces impétrants
à notre digne profession. Ce qui en fait s’est très
bien passé.
Mon ami Jo, au calme tranquille leur a appris tous les rudiments nécessaires
dans la jolie crique du Morgiret et ils
sont rentrés
dans l’habitacle et ressortis sans problème.
- Il y a
eu tous les tests de matériel nouveaux créés en bureau
d’études à Paris et que nous devions essayer. Bien
souvent,
lors de
l’immersion, l’engin se mettait à fuir, devenait lourd, cassait
son amarre et…on envoyait un plongeur avec un sac
pour ramener
le tout en surface, direction Paris pour modification. Comme à
chaque fois que nous perdions quelques uns de
ces outils
nouveaux, il se dégageait quelques bulles faisant en surface «
Glut
! Glut ! Glut !... » C’est comme cela que nous
avons créé
l’Ordre du Glutisme ! qui était accordé à différents
grades selon la valeur de l’objet perdu. Il y avait comme cela
en tout
premier pour l’immersion d’un simple outil de travail le Glutiste
de première ou seconde classe. Venait après pour les
jeunes ingénieurs
ingénieux venant de Paris avec leurs inventions, des Chevalier
du Glutisme, des Croix, Grands Croix
cetera.
Ce qui dans nos meilleurs moments leur était remis avec la maxime
du Parfait Glutiste qui disait que « Tout
corps
plongé dans un liquide et n’ayant pas reparu dans l’heure qui suit
appartiens au scaphandrier qui le remonte…à moins que
l’on accorde une prime conséquente à ce dernier»
Où l’affaire finit par mal tourner c’est lorsque, au cours d’essais
à Nice,
sur un fond
de 800 mètres il fut perdu un décrocheur de blocs d’un coût
élevé. Malgré qu’il ai été élevé
au rang de
Grand
maître du Glutisme, le jeune ingénieur concerné
à perdu ses illusions novatrices et…son emploi !
- Aussi,
les visites surtout l’été des gens de la haute direction
et de leurs invités du B.R.P., I.R.P. etc...
Cela se
commençait invariablement par une note de service m’enjoignait d’avoir
ce jour là 25 scaphandriers et leur
matériel
pour présentation à ces personnalités, toutes palmes
jointes et claquantes à l’ordre. La date était, bien sur
dans
ces hautes
sphères si bien organisées, prévues 10 à 15
jours à l’avance. Comme à chaque fois, je rappelais que la
rade de
Marseille
généreuse en coup de vent, ne nous garantissait pas du tout
le calme plat pour le jour prévu. Celle là et pas une
autre !
Deux fois sur trois, il soufflait au petit matin un coup de brafougne de
mistral bien vif mais dont les résultats sur la
tenue de
nos « Invités » ne se manifestaient qu’une fois sortis
de l’abri des îles. Les retours étaient on ne peut plus
lamentables.
Heureux bénéficiaires cependant mes scaphandriers qui eux
pas du tout frappés par le mal de mer se
gobergeaient
de ce qui avait été prévu pour ces messieurs de Paris.
Encore que certains se sont plaint que c’était toujours
des vins
de Bordeaux et qu’il n’y ai jamais de Bourgogne, selon eux
plus lourds et donc mieux adaptés au mouvement des
navires.
D’autres eux auraient préférés un rosé léger
! Le scaphandrier ne l’oublions pas est un individualiste forcené
!
- Enfin ces
cinq années épiques devaient se terminer sur la réalisation
du film «le Pont sous la mer»
tout naturellement.
Pour ce
faire il fut demandé que des cinéastes professionnels soit
chargé des prises de vue. C’est ainsi que j’ai fait la
connaissance
de Michel ROCCA. C’était un personnage célèbre.
Il avait été le premier à tourner des films sous-marins
professionnels
en 35 m/m dès 1952, deux ans avant le Monde du silence. Il
avait découvert une jeune et belle actrice
Madame
Françoise Arnoult héroïne de son premier long métrage
subaquatique « l’Epave » Une histoire de scaphandrier
lourd amoureux
de la belle et qui finit par mourir d’amour en sectionnant son tuyau. Ensuite
Michel avait récidivé en faisant,
très
fort un autre film avec Brigitte Bardot « Manina, la fille
sans voiles » Amphores, trésors, beau brun ténébreux,
pirates…
la totale ! C’est dire si il était parfaitement capable de réaliser
cette production pour le monde pétrolier.
- Michel est devenu mon ami et j’écrirais beaucoup plus sur lui un de ces jours, il en a tellement fait…
- C’est là
aussi que prévoyant une suite dans la baie de Nice sur un
tube de 1000 mètres que j’ai réussi à convaincre mes
clients
qu’il allait nous falloir un sous marin wet pour visiter une telle longueur.
Ce qui fut fait. J’ai été acquérir ce
matériel
à Livourne chez un ancien de la Décima Mas.
Mais là vous en saurez plus en lisant le chapitre qui lui est consacré
dans mon
dernier ouvrage paru aux Presses du Midi à Toulon
intitulé « A table Scaphandriers ! »
(18 euros
franco avec dédicace de l’auteur)
- Pour en
finir avec mes 5 années d’aventures au Frioul, il faut savoir
que pour ne pas avoir à faire tous les jours des
allers/retour
sur Marseille nous avions été logé dans les
locaux en ruines, ou presque de l’île. C’était magnifique,
même
l’hiver
où isolé par les coups de vents violents, telle les missions
françaises en Terre Adélie, nous devions vivre sur
des
réserves.
Pour le vin, ça allait, il y en avait toujours quelques dames-jeannes
d’avance, pour le pain les pilotines du port
arrivaient
à nous approvisionner. Pour le plat de résistance les loups
et les daurades qui peuplaient le port par bancs entier
ont eu souffrir
des prédateurs affamés que nous étions. A la fin on
se sentait des écailles qui poussaient sur le dos. Pour
varier les
grandes casseroles de moules marinières comblaient les vides de
nos estomacs…
Voilà, en peu de pages ce que fut le grand chantier de la SEGANS au Frioul. On ne raconte pas cinq années en trois pages, mais Pascal (webmaster du site du GRIEME) y comptait tellement. Si vous plongez au sud vous trouverez encore les blocs de béton à 60 mètres. Souvent sur le dessus on y voyait posés, immobiles des chapons de fort belles tailles !
Remerciements à
Gérard LORIDON
A voir également
les ouvrages de Gérard...
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