SALUTO
- Nom : Saluto
- Type : trois-mâts goélette en bois
- Nationalité : Empire russe (aujourd’hui Finlande)
- Construction : 1888 au chantier norvégien Salve Johnsen, à Vikkilen (banlieue de Grimstad)
- Propriétaire : 1888-1900 : Marcus Fredrik Stray basé à Kristiansand (Norvège)
1900-1904 : August Troberg basé à MarieHamn (iles Aland au sud de la Finlande) - Dimensions : Longueur 52,3 m largeur 10,2 m profondeur de cales 5,7 m (coque bois)
- Tonnage brut : 673 tx
- Motorisation : voiles
- Equipage : 11 membres (2 Russes, 6 Français, 2 Norvégiens, 1 Américain)
- Naufrage : échouage par tempête le 8 novembre 1904 à Mers-les-Bains
- Coordonnées géodésiques : 50°04'16’ N & 01° 22'55’ E
Le Saluto dans un port écossais en août 1902
Son commanditaire, Marcus Fredrik Stray, dirige la compagnie d’armement familiale (créée en 1866) sur le port de Christiansand, à la pointe sud de la Norvège. Nous n’avons pas de détails sur la carrière commerciale du trois-mâts Saluto. Sans doute devait-il exporter vers les ports d’Europe des bois scandinaves et remonter du fret divers. En 1897, le voilier en bois subit une cure de rajeunissement. Trois ans plus tard, le voilier est mis en vente.
C’est par un intermédiaire allemand que le navire est acheté en 1900 par un russe, August Troberg. Cet armateur a son siège à Marienhamn, un port de l’archipel de Aland, au centre de la mer Baltique (devenu finlandais depuis 1917, après la révolution russe et le morcellement de l’empire).
Là aussi, pas d’information sur les liaisons effectuées, ni sur le fret transporté.
La belle photo datant de 1902, obtenue de Finlande par Dany Laurent, montre le voilier en Ecosse avec un chargement de bois. Chose surprenante : de 1900 à 1904, le Saluto ne sera jamais remonté vers son port d’attache.
Le Saluto présente une singularité étonnante que nous n’avions encore jamais rencontré (ou remarqué) sur l’iconographie d’autres voiliers du 19ème siècle : un petit moulin à vent (ancêtre des éoliennes) derrière le grand-mât, qui sert à actionner la pompe de cale.
Nous sommes le 26 octobre 1904 à l’aube, le récent capitaine Adolf Gustafsson vient de faire appareiller son navire, le trois-mâts finlandais Saluto, de Nantes.
Il va faire une grande remontée sur lest vers son port d'attache Mariehamn au centre de la mer Baltique.
Le 7 novembre, les conditions sont bonnes depuis le départ. Le voilier remonte paisiblement la Manche toutes voiles dehors, poussé par un vent arrière. Il est 22 heures quand le Saluto se met soudainement à giter et que ses voiles se mettent à claquer dans la mature. Le vent vient subitement de changer de direction et de forcir.
En moins d’une heure, arrivée du Nord-Ouest, une redoutable tempête de la force d’un ouragan s’abat sur le voilier.
S’en suit une épouvantable nuit de lutte pour l’équipage, entre les lames qui balayent le pont, les prises de risques insensées pour escalader la mâture, sectionner les lambeaux de voiles qui claquent et les drisses qui fouettent l’air.
Le capitaine ne voit plus qu’une alternative pour le salut de son bateau et de ses hommes : tenter de rallier le port le plus proche ; ce sera Le Tréport. Le voilier désemparé n’a quasiment plus de toile. Le vent, les paquets de mer et le courant les précipitent vers la côte.
Au petit matin, les Tréportais aperçoivent le navire sur la mer déchainée.
Ne fait-il que passer ou tente-t-il de gagner l’entrée du port ? L’absence de voilure lève rapidement le doute : il est en perdition.
Alors que les badauds s’amassent sur la plage et les jetées, les secours sont déclenchés.
Il est trop tard pour répondre à la demande de pilote, faite par pavillons. De toute manière, le navire sous-toilé n’aurait pas pu remonter le courant.
Dans sa dérive, le Saluto dépasse l’entrée des jetées. Le capitaine Gustafsson ordonne alors de mouiller les deux ancres pour stabiliser le voilier éprouvé, ultime salut pour le retenir de la machine à broyer blanche d’écume qui se déchaîne sur le rivage.
Le voilier est enfin immobilisé, à un peu moins de 300 mètres du port, mais combien de temps tiendront ses ancres ?
Immédiatement, la valeureuse équipe de marins-pêcheurs volontaires, regroupés au sein de la centrale de sauvetage des naufrages, met le canot de secours du Tréport à l’eau. Il faut récupérer l’équipage du Saluto à la merci des éléments. Les deux pilotes se joignent à eux.
Les dix rameurs du canot doublent les jetées et forcent sur les avirons pour atteindre et se ranger le long du trois-mâts. Les dix matelots du Saluto s’empressent de réussir le périlleux exercice de transbordement.
Au moment où il ne reste plus que le capitaine à débarquer, celui-ci refuse de quitter son navire. Il faudra de longues minutes d’insistance du responsable du canot Joseph Gaudet pour le convaincre de quitter le bord. Le capitaine prend place dans le canot avec les papiers du bord.
L’embarcation de 10 m, alourdie par ses 25 passagers, regagne péniblement le port.
Tandis que les sauveteurs sont acclamés par la foule, l’équipage débarqué est accueilli au café du port où un repas accompagné de vin chaud leur est servi gracieusement.
On imagine le soulagement des 11 hommes : trempés mais heureux de d’avoir regagné la terre ferme, sains et saufs
Lors d'une cérémonie organisée début 1905 à la mairie du Tréport, l’équipe de sauvetage se verra remettre médailles et diplômes d’honneur par le responsable de la chambre de commerce.
Mieux encore, suite à une demande de vice-consul de Russie à Dieppe, une somme de 1500 marks finlandais leur sera allouée par le sénat du Grand-duché de Finlande. Cette récompense sera débloquée par le responsable du Trésor public finlandais J.K. Paasikivi (qui deviendra président de Finlande de nombreuses années plus tard). Les sauveteurs se partageront la récompense, arrivée à l’été 1905.
A noter que le naufrage du Saluto fit quand même une victime : au moment de l'évacuation dans le canot des sauveteurs, le chat du bord fut introuvable. Lors des retours à bord suivants, le pauvre anima, réfugié on ne sait où, ne réapparut pas.
Dans la matinée, le remorqueur Mercure a quitté Dieppe pour venir tirer le Saluto de sa mauvaise posture.
La marée haute est à 11 h 30. Le navire retardé par les conditions difficiles de mer arrivera deux heures trop tard pour tenter quoi que ce soit, le niveau de l’eau ayant déjà baissé.
Les ancres du voilier, livré à lui-même, vont riper. Il se rapprochera du rivage et s’échouera sur un banc de sable. Le capitaine russe désappointé ne se laisse pas abattre, il motive les gens pour une nouvelle tentative à la prochaine marée haute à minuit. Le soir venu, les conditions atmosphériques ne se sont pas améliorées, bien au contraire, et on fait comprendre à Adolf Gustafsson qu’il est plus raisonnable de remettre cela au lendemain.
A l’aube du mercredi 9 novembre, le Saluto offre un spectacle de désolation.
Les vents ont soufflé fort durant la nuit, repoussant l’épave à 300 m plus à l’Est et abattant le grand-mât et l’artimon. Le capitaine, accablé par la fatalité, considère maintenant son navire comme perdu.
L’équipage profitera de la marée basse et du rapprochement du Saluto du rivage pour monter à bord récupérer effets personnels et vivres. Ils renouvelleront cette opération de récupération le lendemain, sauvant notamment divers instruments de bord.
Le 11 novembre, la violence des flots aura raison de la coque du navire. En effet, signe de multiples voies d’eau, le Saluto ne flotte plus, la marée haute le submerge. A la mi-journée, ce qui était un fier vaisseau n’est plus qu'un tas d’espars, éclatés un peu plus à chaque coup de boutoir. La plage de Mers-les-Bains est maintenant bordée d’un long chapelet de bois échoué, entremêlé de cordages.
Un souvenir restera longtemps accroché au balcon d’une maison de Mers-les-Bains.
Aujourd’hui, la plaque restaurée de nom du Saluto est respectueusement exposée au musée du Tréport.
Nous sommes en 2001, l’échouage du Saluto, il y a près d’un siècle, est sorti des mémoires de la majeure partie des Mersois et des Tréportais.
L’histoire ne subsiste que chez de rares historiens locaux, ou dans le milieu des cartophiles.
Pourtant, un vestige va refaire surface lors des grandes marées de septembre 2001, réveillant ce spectaculaire fait divers oublié. Sur la plage de Mers, des promeneurs découvrent un grand panneau (5,40 m x 2,30 m) qui semble ancien. Il s’agit d’un grand safran en bois armé de fer. Des personnes de la municipalité font le rapprochement : il doit s’agir du gouvernail du voilier russe Saluto.
L’imposante et lourde pièce est relevée et stockée. Elle sera confiée à M. Longuemare, ébéniste de Guilmécourt, qui va traiter les parties métalliques, remplacer les pièces de bois centrales trop abimées et consolider l’ensemble par des tiges filetées.
C’est en 2013 que sera enfin exposé le safran, le long du sentier montant sur la falaise de Mers-les-Bains.
Un grand merci et hommage au travail de recherche effectué par notre collègue Dany Laurent, de l’association d’histoire locale « Les enfants du vieux Tréport ».
Nous vous invitons à visiter le musée du vieux Tréport où vous trouverez des objets, documents et l’ouvrage « Le périple du Saluto ».
Pour ce condensé, nous nous sommes largement inspirés de ce dernier, paru en 2008.
Sites consultés :
https://www.courrier-picard.fr/art/region/le-safran-du-saluto-retrouve-la-mer-ia174b0n101623
http://www.archeosousmarine.net/bdd/fichetech.php?id=18189
http://www.ville-le-treport.fr/fichiers/Image/pdf/saluto.pdf
http://files.snsm-le-treport.webnode.fr/200000044-0d7ea0ee31/saluto.pdf
https://snsm-le-treport.webnode.fr/nos-anciens-2/
Registre Lloyd’s 1898
Archives départementales Epaves 1903 à 1911 (6P815)
Pour terminer, le fils (Sven O. Stray) du commanditaire norvégien du Saluto a pris la succession de la compagnie d’armement. Etait-il empreint de nostalgie quand il acheta début 1905 un trois-mâts en fer, fort semblable ? Toujours est-il qu’il le rebaptisa…Saluto bien sûr.
Le 13 décembre 1911, nous ne savons pas s’il a pensé fatalité ou malédiction (personnellement, au GRIEME nous ne sommes pas superstitieux... çà porte malheur !) quand il apprit que son voilier, victime d’une voie d’eau, s’était rapproché des côtes d’Ecosse où il finit par s’échouer. Là encore, les 16 membres d’équipage furent sauvés par le canot de sauvetage du secteur (mais, c’est une autre histoire...).