ESPINGOLE
- Nom : Espingole
- Type : Contre-torpilleur
- Nationalité : Française
- Construction : Chantiers Augustin Normand et Cie Le Havre
Début de construction 29 avril 1897 Lancement 28 Juin 1900 - Propriétaire : Marine Nationale
- Dimensions : Longueur 56 m Largeur 6 m Creux 4,10 m
- Tonnage : 3109 tonneaux
- Motorisation : Propulsion 2 machines à triple expansion Puissance 2600 Cv
- Vitesse : 27 nœuds
- Armement : Non Renseigné
- Naufrage : Date du naufrage 4 février 1903 Cause du naufrage Heurte le sec Taillat
- Coordonnées géodésiques : Non Renseigné
- Autres: Commandant lors du naufrage Commandant Marcotte de Sainte Marie Equipage 4 officiers et 48 hommes
(L'Espingole en cale au Havre)
PREAMBULE
Nous sommes en 1903… depuis une trentaine d’année, dans les états majors de la marine de guerre française règne une activité fébrile qui, encouragée par les progrès en matière de combat naval, donne lieu à une course aux armements quasi invraisemblable.
C’est le «Canon» qui, sur les ponts des navires, en pièce unique ou en tourelle projette de plus en plus loin des obus dont le diamètre peut atteindre les 40 centimètres. « En face », pour prévenir contre ces projectiles, les bateaux de guerre se parent de véritables armures dont l’acier atteint l’épaisseur de 60 centimètres. C’est l’ère de la démesure, l’ère des monstres d’acier…
A la fin du XIX ème siècle, en matière de machinerie, les progrès amènent les moteurs à vapeur à perdre en poids ce qu’ils vont gagner en puissance entraînant un gain de vitesse remarquable. De même que les aciers deviennent toujours plus performants, les blindages s’amincissent tout en gagnant en résistance aux impacts d’obus. Mais une arme terrible apparaît, semant la panique et parfois créant l’indignation chez les stratèges du combat naval : la torpille automobile.
En 1870, le premier modèle est déjà capable de parcourir 900 mètres à la vitesse de 6 nœuds. La technologie ne cessant de s’améliorer, en 1890 les torpilles, trajectoire stabilisée par des gyroscopes (l’essentiel de ce dispositif est une roue ou tout objet correctement équilibré) tournant sur un axe qui, une fois lancée, tend à résister aux changements de son orientation.
La démonstration la plus simple et la plus parlante consiste à tenir à bout de bras une roue de vélo par les écrous du moyeu et de la faire tourner rapidement par une autre personne. Lorsque l’on tente de pencher la roue en rotation sur le coté, on ressent une résistance. C’est la conservation du moment de rotation qui tend à s’opposer à ce mouvement. Chargées de 90 kilos d’explosifs ce dispositif file à 30 nœuds vers son objectif.
Désormais, il est possible, non seulement d’infliger à l’adversaire de terribles coups au but au-dessus de la surface, mais également d’expédier ces « dards meurtriers » en dessous des flots. Pour exploiter ces nouvelles armes naît un nouveau type de navire, mal armé, mal protégé mais rapide, très agile en combat rapproché : le Torpilleur
Les torpilleurs sont vite devenus une menace mortelle pour les escadres de gros navires. Des mesures sont prisent pour contrer leurs actions. Montage de pièces de petit calibre mais à tir rapide sur les grosses unités, cloisonnement des coques, blindages supplémentaires, filets de protection autour des navires au mouillage… Enfin, on imagine des bâtiments appropriés afin de leur faire face, rapides, plus grands et mieux armés : le Contre-torpilleur
L’étude de ce projet est confiée aux Chantiers Augustin Normand et Cie au Havre
ESSAIS ET CONTRUCTION - UN PREMIER EXEMPLAIRE
Ainsi, Augustin Normand remis son projet définitif le 18 février 1896 : Le Durandal, prototype de contre- torpilleur d’une longueur de 55 mètres, d’une largeur de 5,85 mètres ayant un tirant d’eau de 2,25 mètres et d’un déplacement de 308 tonnes.
Pour la motorisation, le est équipé de 2 chaudières ainsi que 2 machines placées dans 4 compartiments différents afin de diminuer les vibrations de la coque. Chaque machine peut donner 2600 CV pour une consommation d’environ 4 tonnes de charbon à l’heure (au maximum de la puissance) Lors de l’essai officiel en mai 1899, la vitesse de 27,42 nœuds est atteinte sur une mer formée.
Le servit de modèle à 55 autres contre-torpilleurs construits jusqu’en 1906. Ces bâtiments ne subirent pas de modifications notables, mis à part quelques aménagements qui permirent d’augmenter leur vitesse. Le record sera atteint par l’ qui naviguera à 31,37 nœuds avec une puissance de 7200 CV.
Ces contre-torpilleurs sont alors construit à une allure accélérée. Pour servir ces bâtiments fuselés comme des cigares, équipés de sommaires superstructures, d’un canon de 65 mm, six de 47 mm, de deux torpilles de 5,68 m de long. Des deux énormes cheminées vomissent un noir panache de fumée visible depuis l’horizon. Pas moins de 62 hommes d’équipage sont nécessaires pour servir le navire. Ces bâtiments porteront tous des noms d’armes : et l
(Le Durandal - D.R.)
NAISSANCE ET QUALIFICATION DE L'ESPINGOLE
Il effectuera ses essais en mer à Cherbourg. Avec son «bout dehors» surmontant une étrave verticale, avec sa poupe arrondie comme celle d’un sous-marin, l’Espingole sera qualifié de «bon matériel » par les hauts gradés de la Royale.
L’Espingole passe à l’escadre de Méditerranée en août 1900, commandé par le lieutenant de vaisseau LANGIER. Puis, dès le mois de juin 1902, son nouveau « pacha » sera le Lieutenant MARCOTTE DE SAINTE MARIE.
En octobre 1902, l’Espingole fait partie d’une flottille envoyée en Turquie pour une mission dissuasive, puis on le retrouve en janvier 1903 à Rochefort ou il fait relâche et regagne enfin Toulon son port d’attache début février.
Sources photo Revue OCEANS
CHRONIQUE D'UN DRAME SANS ISSUE
Nous sommes le 4 février 1903. A vitesse réduite, les contre-torpilleurs quittent les salins d’Hyères où ils sont stationnés. La flottille qui regroupe le Hallebarde, le Pique, le Rapière, le Pertuisane, l’Epée et l’Espingole mettent le cap à l’Est avec pour mission rallier le port de Golfe Juan.
A grande vitesse, en file indienne, les navires dépassent la rade de. Il fait froid, mais la météo est au beau fixe et la mer calme. Le commandant du , le lieutenant , qui navigue en tête, décide avec une certaine hardiesse de passer au plus près cap et engage le contre-torpilleur entre le cap et un sec pointant à moins d’un mètre sous la surface.
Il sait parfaitement qu’entre le cap et l’écueil il y a environ 50 mètres d’eau libre…
Tout ça doit passer et ça passe ! Derrière, à courte distance et aussi à bonne vitesse, le pacha de l’Espingole qui connaît l’existence du sec se trouve confronté à un moment d’indécision……
Virer à tribord et s’éloigner du cap ou suivre le Pique ?
Il décide de rompre la file, de s’éloigner du cap, et donne l’ordre de mettre la barre 15°sur tribord. Son hésitation est fatale, à 9 heures 40 minutes, lancé à plus de quinze nœuds le contre-torpilleur talonne sur les roches et dans un fracas d’acier déchiré, aux cris des marins malmenés par l’impact l’Espingole s’immobilise.
Le Hallebarde, témoin du drame, évite in-extremis la roche et manœuvre pour se porter au secours de l’infortuné contre-torpilleur échoué.
Des paillets Makaroff ("Paillet" dont le plus célèbre est le "Paillet Makaroff", du nom de son inventeur l'Amiral russe Stephan Osipovich MAKAROFF, combinant à la fois bâches et badernes pour aveugler une voie d'eau par l'extérieur de la coque d'un navire) sont posés. Les chaloupes des 2 navires sont mises à l’eau et l’équipage de l’Espingole transféré. Ensuite, on s’occupe de sauver les documents du bord, les équipements de valeur, les canons afin d’alléger le navire.
Trop près de la roche, le talonne à son tour mais se déséchoue rapidement. Finalement, en début d’après midi, une petite houle fait frémir le contre-torpilleur et le libère bientôt de son piège. L’ dont la blessure est une déchirure de la coque longue de 1,50 m et large de 20 cm s’enfonce de l’avant.
Le navire, ses 2 hélices à moitié hors de l’eau, n’est plus manœuvrant et doit être remorqué par l’arrière. La pomme de touline lancée depuis le permet aux boscos remontés à bord d’amarrer la haussière de remorque aux bittes de l’. Tout le personnel est évacué y compris le commandant très inquiet sur le sort de son bâtiment. Le remorquage vers peut commencer. Le convoi s’ébranle doucement. Sur tribord, la pointe laisse apercevoir la plage de . L’espoir renaît, il faut à tout prix atteindre le petit port.
Dessin : L'Illustration 1903
Les efforts seront vains. Brusquement, le contre-torpilleur s’enfonce de l’avant.
Tendue jusqu'à la rupture, la haussière de remorque casse net dans un bruit de coup de canon.
Sur le Hallebarde, l’accident n’a pas été anticipé. La remorque en fouettant revient sur la plage arrière causant de graves blessures au quartier-maître Guelou ainsi qu’à un gabier. Une bouée de signalisation est jetée à la hâte sur le lieu du naufrage alors que la mer s’est refermée sur l’Espingole dont il ne reste en surface que quelques débris.
Le jour même, les opérations de renflouage débutent. Un câble d’acier, passé sous l’avant de l’épave doit permettre de la soulever afin de glisser une énorme chaîne sous la coque, mais la mer qui se forme interrompt les opérations.
(Affiche de la vente de l'Espingole - Sources Revue OCEANS)
ESPOIR FOU... LE RENFLOUAGE
Dans les mois qui suivent, les essais de la Marine Nationale pour remettre à flot son navire se révèlent infructueux. L’opération est alors déléguée à une entreprise civile. La marine décide de confier les travaux à un entrepreneur de Toulon : M.Lanthiome. C’est le début d’un roman qui durera 23 années.
Le port de met à disposition de cette entreprise en contre-partie d’une forte caution le matériel nécessaire au renflouement : barges de servitude, pontons, la gabare , 250 tonnes de chaînes !
L’idée est de couler le ponton lesté de chaînes au-dessus de l’épave, de les relier ensemble puis en enlevant le lest de parachuter l’ vers la surface, le ponton servant de bouée. L’essai fut catastrophique ! Le ponton immergé s’étant rapidement retourné, débarrassé de son lest, dans un grand remous, est remonté vers la surface et a heurté violemment le bâbord arrière du . Après 5 mois d’essais, sinon sans dégâts matériels, du moins sans accidents de personnes, les travaux sont abandonnés !
L’entrepreneur se plaignit du fait que la avait «dérangé» l’épave, il demanda que l’on « remis les choses à leur place » sous peine d’exiger 60.000 F de dommages. Un contentieux tenace débuta donc entre les deux parties. Contentieux qui dura jusqu’en 1926. On tenta même une vente de l’épave aux «» en 1909.
La revue «YACHT» publia 8 mois après le naufrage une liste des frais engagés pour financer cette mascarade :
- Location de matériel de servitude (remorqueurs) : 58,028 francs
- 4335 journées de marin (5 f chacune) : 21,675 francs
- Charbon des remorqueurs (540 tonnes environ à 34 F la tonne soit 18360 francs environ)
- Location pontons : 77,398 francs
- Avaries : 1800 francs
A cela, il convient d’ajouter le prix des chaînes et ancres perdues, frais de déplacement des ingénieurs, officiers, délégués (envoyés de Paris !)
A une époque où il était demandé à la Marine Nationale de réaliser des économies, ce fait divers ne manqua pas d’intéresser la «commission du budget » !
Pour terminer, le 3 mars 1926, l’affaire sera close par une demande de «main levée»
L’Espingole ayant servi la Marine Nationale durant 3 années à peine a occupé un ministère entier durant presque 25 années.
Pour sa part, le commandant Marcotte de Sainte Marie, passé en jugement est acquitté. Il se distinguera en 1914 en tant que commandant du croiseur cuirassé «Latouche-Tréville» et sera tué glorieusement durant la guerre 1914-1918.
EPILOGUE
Comment ne pas rapprocher l’histoire de l’Espingole de celle de son "sister-ship" le Yatagan qui, face Saint-Valéry en Caux en Haute-Normandie, repose dans les eaux de La Manche.
Ce bâtiment sera coulé en 1916 lors d’une collision avec un transport à vapeur anglais TEVIOT.
Mais ceci est une autre histoire que nous vous invitons à découvrir sur le site du GRIEME . Vous pouvez également, lire ou relire tranquillement toute cette aventure dans la SAGA DES EPAVES DE LA COTE D’ALBATRE (Tome 2)
MA PLONGEE SUR L'ESPINGOLE AVEC LE GRIEME
Dominique RESSE - Stage épaves à Giens avec le GRIEME Juin 2007
Nous sommes le 13 juin 2007, il est 14 h 30 mn… Subtil, le bateau de Sub-Plongée est à l’aplomb de l’épave. Appareil photo assuré sur ma «stab», je fais signe à François avec qui j’aurai fais toutes les plongées de cette « semaine épaves » que je suis « OK » et je descends à l’eau… 104 années après son naufrage que peut-il bien rester de l’Espingole ?
L’eau est d’une limpidité de cristal, je suis seulement quelques mètres sous la surface et déjà une masse plus sombre signale l’épave. La mission qui m’est confiée est de photographier l’avant du bateau. Je me stabilise au-dessus de ce que je reconnais comme l’ensemble « chaudière/machine » et là, me vient la réflexion suivante… Je n’y connais rien ! Je reconnais en fait pas grand chose… ça ce sont sûrement les chaudières, mais ce gros machin là ? Et ce tuyau ? Et cette espèce de hotte de cheminée ? Ca ressemble en rien à ce que j’ai vu dans les livres ou même sur Internet !
Bon tant pis, se concentrer sur ma mission…photos… photos ! J’aurai des explications par l’un des membres du GRIEME !
Malgré son grand âge, on distingue encore bien la forme du contre torpilleur. Il repose sur un fond de sable clair, légèrement incliné sur tribord. Les années aidant ainsi que les tentatives de sauvetage ont séparé le tiers avant du reste de l’épave. Cette partie est maintenant complètement couchée sur le sable... Palmant vers l’étrave, je passe au-dessus des membrures évoquant le squelette d’un énorme cétacé. Je me place sur le sable devant l’avant effilé et prends quelques photos tentant de remettre cette étrave dans l’axe du reste de l’épave. Mission accomplie !
Je vais pouvoir visiter entièrement le bateau qui, au final, se révèle très photogénique. Je commence à trouver l’utilité et le fonctionnement de ce qui, au premier abord, ne m’a semblé être qu’un amas de tuyaux et de ferrailles. Aurai-je un semblant d’érudition devant les copains du lors de l’inévitable débriefing ?
Je me dirige vers les éléments de propulsion… j’ai beau prendre mon temps, bien observer, tout ça me paraît bien complexe ! Je n’ai même pas l’excuse du délabrement puisque cette partie est sûrement la mieux conservée !
Je poursuis mon exploration en direction de la poupe. Enfin une hélice que je sais reconnaître ! Elles sont bien là, ensablées, mais bien visibles. Quelques photos encore…
Puis me reviens en mémoire le charbon ! De gros blocs de charbon dont certains estampillés. Je devrais pouvoir trouver. Retour vers les chaudières, ils sont là, comme entassés soigneusement entre les parois de la chaudière et la coque qui a disparue, j’appuie sur le déclencheur de mon appareil.
Mais, déjà (c’est toujours « déjà» quand il s’agit de remonter !) François me fait signe que sa plongée est terminée. Je le suis un peu à contre-cœur non sans avoir encore effectué plusieurs prises de vues supplémentaires.
Au final, une plongée relativement facile hormis peut être la profondeur. Une eau limpide, dépourvue de courant sur une épave présentant un intérêt maritime important et dotée d’une histoire aussi émouvante que pittoresque !
Les gardiens de l'Espingole l'entourent de toute leur attention
Photo Patrice Strazzera