GUARANI

Le Navire
Préambule
Histoire
Epilogue
La Plongée

  • Nom : Guarani

  • Type : Goëlette bermudienne

  • Nationalité : Française

  • Construction : Construite en 1927 aux Chantiers Despujols d’Arcachon

  • Propriétaire : Non Renseigné

  • Dimensions : longueur: 29,50 m, largeur : 5,74 m. Surface voilure : 350 m2 

  • Tonnage : 121 tonneaux

  • Motorisation : diesel de 100 cv

  • Vitesse : 7 noeud

  • Armement : Non Renseigné

  • Naufrage :  21 juin 1944 coulé par un sous-marin britannique

  • Coordonnées géodésiques : 43° 10.9801333 N, 5° 5.9502667' E
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La beauté du voilier GUARANI au port Source photographique : "Le Yacht" Goélette mixte, transformée en patrouilleur allemand.

 

 PREAMBULE

 

Cette fiche est tout spécialement dédiée à François BEAUMONT qui nous a quitté le 23 novembre 2009 

 

 

 Coulé le 21 Juin 1944 par un sous-marin britannique. Un récit en collaboration avec François BEAUMONT et le GRIEME  

Lorsque Maurice Piéroni m’a griffonné ses amers sur un bout de papier, je savais que j’allais vivre de grands moments de plongée. Un coin comme cela, on le garde secret et personne d’autre que lui ne serait allé y caler ses filets. C’était son coin et entre gens de mer, on a le respect de l’autre. “Momo des Goudes” pêcheur bien connu de Cap Croisette à l’Estaque, ne remontait plus de langoustes. Depuis quelque temps les prises étaient moins bonnes, il allait pêcher plus loin. Il connaissait ma passion des épaves, et ça le titillait de savoir ce qu’il y avait en-dessous ! C’etait une épave, il en était sûr, ses filets avaient croché plusieurs fois sur la tôle, il avait même remonté un hublot !

Un amer m’a semblé évident, l’autre franchement obscur. “François, il faut être sur place pour comprendre ce que j’essaye de t’expliquer,  tu me raconteras. Remonte de belles images et surtout, regarde bien si tu ne vois pas de langoustes, et puis fais attention, il y a de l’eau quand même “ me dit-il d’un ton jovial  “ avé l’assent de Marseille”.

J’ai compris... et le sondeur s’est affolé. Les cartes marines sont muettes, pas de naufrage signalé dans cette zone :  la promesse d’une épave vierge !

 

 

HISTOIRE DU GUARANI


 

Le GUARANI prêt au combat !

Avec mon ami André Grousset, l’aventure commençait ce samedi 2 octobre 1999. Une année de plongées, de recherches en archives, de contacts avec les Etats-Unis, l’Allemagne et la Grande-Bretagne. Que de doutes et de déceptions avant de pouvoir enfin identifier l’épave et retrouver son histoire, grâce à trois élements majeurs :

Les archives de Marc Saibène, spécialiste de l’histoire maritime de la guerre 1939-1945 furent d’abord capitales. Une photo où je reconnus tout de suite mon épave et les rapports allemands extraits du Kriegtagenbuch, le fameux K.T.B.,  puis ensuite les archives de la revue “Le Yacht” que j’ai consultées au Service Historique de la Marine à Vincennes. Enfin le témoignage émouvant recueilli par André, celui de Ronnie Coates -Walker, vétéran de la deuxième guerre mondiale, à l’époque commandant en second du sous-marin qui a coulé le Guarani et qui a gardé intact, plus d’un demi siècle après, le souvenir de ces événements.

Le yacht Guarani était une belle unité de la flotte de plaisance française. Construite en 1927 aux Chantiers Despujols d’Arcachon, la goélette bermudienne à moteur auxiliaire jaugeait 121 tonneaux. Son moteur diesel de 100 cv lui imprimait une vitesse de 7 noeuds. Pour une longueur totale de 29,50 m et une largeur de 5,74 m, sa surface de voilure de 350 m2 la destinait à de longues croisières très confortables. Ses aménagements en vieux chêne ciré étaient d’un goût remarquable.

Son premier propriétaire, Monsieur Jean Larivière, sillonna le Golfe de Gascogne et La Manche. En 1928, le voilier change d’armateur et passe sous le contrôle de Monsieur Oriol de Madrid, il bât pavillon argentin. Il change aussi de nom et devient le Gualgula. Dès lors, on perd la trace de l’élégant coursier des mers jusqu’à ce que les allemands, le 7 janvier 1943, le saisissent,  car il est alors la propriété d’un ressortissant britannique, Monsieur Rolent Toms.

La Kriegsmarine commence à manquer de bateaux pour assurer la surveillance des côtes. La guerre sous-marine dominée par l'Allemagne, tourne bientôt à l'avantage des alliés. Après l’invasion de la zone sud, le 11 novembre 1942, conséquence du débarquement des troupes américaines en Afrique du Nord, la Méditerranée occidentale, entourée alors de l’Espagne franquiste, de l’Italie fasciste, de la France de Vichy et ses colonies nord-africaines, devient une zone d’insécurité totale pour l’Allemagne. Tout ce qui flotte est bon à être confisqué, réquisitionné !

 

Notre voilier subit le sort de beaucoup d’autres, il est transformé, mutilé, enlaidi. Enregistré sous le nom de Guarani dans les archives allemandes, il est alors démâté, sa cabine modifiée est déplacée vers l’arrière afin d’installer deux plates-formes armées de batteries antiaériennes de 20 mm.

En juin 1943, il est affecté à Sète dans l’Haffenschutzflottille du Languedoc sous le n° FLa 31. Début 1944, les flottilles portuaires sont  refondues et le Guarani se retrouve à Marseille. N’étant plus que le matricule FMa 06,  la pauvre goélette remplit son rôle d’unité de défense avec les U-Jäger de la 6 ème Sicherungflottille qui traquent les sous-marins alliés. En mai 1944, une subdivision est créée à Cassis et intègre le Guarani.

Les opérations se succèdent pour le sous-marin britannique H.M.S. Universal. Le 22 mai 1944, devant Gênes, il a coulé l'U-Jäger 2229 (ex dragueur aviso français Rageot de la Touche). Dès le 13 juin, il quitte à nouveau sa base de Maddaléna en Sardaigne pour une mission entre Toulon et Marseille.  

Le H.M.S. Universal est un sous-marin U class - Groupe 2. Son équipage de 30 hommes était commandé par le lieutenant Gordon, appelé affectueusement par ses hommes"Flash Gordon", surnom tiré de la célèbre B.D. née de l'imagination d' Alex Raymond. Le submersible faisait partie d'une longue série de sous-marins dont le nom commençait par la lettre U. L'un d'entre eux, l'Upstart, n' est d'ailleurs pas inconnu des plongeurs car il a coulé le Neidersachen (ex Guyane) le 25 février 1944, dans la rade de Toulon par 110 m de fond.

Par deux fois, les 17 et 19 juin, le sous-marin  échappa à la chasse des U-Jäger ! Par deux fois les navires passèrent au dessus de lui sans le localiser précisément car il avait stroppé toutes activités et observait un silence absolu. Nous sommes en pleine préparation du débarquement de Provence qui se réalisera plus tard, le 15 août 1944.

Le 21 juin à la nuit tombante, le sous-marin, en immersion périscopique repère une proie dans les parages de Cassis. Deux petites unités, le Guarani ainsi que le F Ma 12 (ex-chalutier Arcula), sont à l’écoute, à l’aide d’hydrophones, des ondes acoustiques produites par les submersibles ennemis. Depuis le débarquement réussi de Normandie, les allemands s’attendent à l’ouverture d’un second front sur le sol français ; ils ne savent ni où ni quand, mais ils s’y préparent. Le haut commandement décide, entre les ports bien fortifiés de Marseille et de La Ciotat, de neutraliser celui de Cassis et ainsi d’empêcher les alliés d’y établir une tête de pont. Des bateaux seront positionnés à l'entrée du port de manière à être facilement et rapidement déplacés puis sabordés en travers de la passe.

Dans la soirée,à 21 h 45, les paquebots Amalfi (ex Président Dal- Piaz) et Sanpiéro Corso quittent  Port-de Bouc en direction de Cassis, remorqués par le Marsigli et le Laborieux. Ils sont escortés par plusieurs unités allemandes. Le Guarani, dans ce contexte, doit contribuer à sécuriser la zone avec ses “grandes oreilles”, surnom donné aux marins qui épient tous les bruits de la mer.

Le sous-marin H.M.S. Universal traque sa cible et s’en approche à moins de 450 mètres sans se faire repérer. Un seul tir suffit, la torpille explose à l’arrière de l’ancien voilier, qui va sombrer, il est 22 h 24 !

(* Indien d’Amérique du Sud, originaire du Paraguay)

Le Lieutenant Gordon, pacha du H.M.S. Universal

(Le Lieutenant Gordon et le H.M.S. Universal)

Le H.M.S. Universal à quai

 

 

EPILOGUE

Le H.M.S.Universal esquive la chasse menée par les U-Jäger appelés en renfort. A 3 h du matin, le convoi allemand arrive à Cassis et les paquebots sont au mis au mouillage, puis l’escorte et les remorqueurs repartent.

Dans la journée du 22 juin, le sous-marin observe ! Une seule idée, attaquer l'ennemi. Trois chasseurs patrouillant au large de Cassis quand un paquebot est repéré ancré dans la rade.

Le lieutenant Gordon sait que la baie est protégée par des mines et des filets anti sous-marins mais il estime qu’en naviguant au plus près de la côte, par petit fond, il pourrait y avoir un espace libre pour se faufiler sans se faire repérer. Il aperçoit alors le second paquebot tout près de l’autre. Lorsque le submersible lance ses quatre torpilles à 16 h 11, il est à 3500 m des navires. Deux projectiles atteignent le Sampiéro-Corso par le milieu, un incendie se déclare aussitôt tandis qu’il coule doucement pour rester à moitié submergé. Les deux autres atteignent l’Amalfi. Le paquebot s’enfonce de l’arrière, fortement penché sur bâbord, la proue hors de l’eau contre la roche.

Le H.M.S. Universal alors rebrousse chemin, son stratagème a marché car les U-Jäger sont très occupés à le rechercher plus au large. Le commandant a même pris le temps, occasion rare, de laisser l’équipage observer au périscope le résultat de leur attaque. Le sous-marin rentrera à sa base de Maddaléna, qu’il atteindra sans encombre le 26 juin.

Il semble que l’Etat-major allié ait eu vent des préparatifs allemands pour embouteiller les ports. Deux bateaux sont coulés en mer alors qu’ils étaient remorqués sous escorte vers Nice et Monaco le 27 juin. Les sous-marins alliés auraient été ainsi spécialement envoyés pour contrecarrer ce plan. Après la guerre, le Sampiéro-Corso sera renfloué et reprendra du service  tandis que l’Amalfi, ex Président dal Piaz, sera ferraillé. Quelques vestiges sont encore visibles dans la passe de l’avant-port.

 

Le H.M.S. UNIVERSAL

 

 

 LA PLONGEE

L'épave du GUARANI vu par François BEAUMONT

Le Guarani repose à 87 m sur un fond de sable, entre la pointe de Sormiou et l’île de Riou.  Exposée à tous les vents, surtout à celui du sud-est, c’est une plongée qui ne sera envisagée que par beau temps bien établi. La visibilité souvent très bonne et le courant faible à modéré ne doit pas faire oublier la grande profondeur du site !

L’épave, magnifique et poissonneuse, est posée bien droite sur sa quille, le bois a disparu mais elle est bien conservée sur les trois-quart de sa longueur. Sur le pont, à 84 m, l’écoutille a sa porte qui ouvre vers l’intérieur et on peut observer l’emplanture du beaupré et du mât de misaine.

Au niveau de la grande cale, il y a tout un bric-à-brac de vestiges. Le plus important est celui d’une pièce d’artillerie sur affût dont l’extrémité du canon repose sur le pont à bâbord. Le deuxième canon est tombé sur le sable.

vue sur l'écoutille du GUARANI (vue sur l'écoutille du GUARANI)
Ecoutille du GUARANI figée par André GOUSSET (Plongeur sur  l'écoutille du GUARANI)

 

En arrière de l’emplanture du grand mât, une grande tôle presque verticale et la coque disloquée, témoignent de la violence de l’explosion qui a amputé le Guarani de sa poupe.

Un filet perdu par un chalutier recouvre une partie de la proue, celui-ci a balayé le pont puis est resté accroché à la cassure. Le chalut remonte à 77 m, soutenu par ses flotteurs.

Volant de manoeuvre du GUARANI (Volant de manoeuvre du GUARANI)
(Hublot du GUARANI)
(François en plongée) 

 La coque est recouverte d’huîtres, peuplée d’un nuage de tacots et d’anthias, habitée par de vieux congres et quelques langoustes rescapées des filets de “Momo des Goudes”.

LA DERNIERE PLONGEE DE FRANCOIS EN CE MOIS DE DECEMBRE 2009   

François BEAUMONT était pharmacien dans la région parisienne. Ses rencontres dans les années 80-90 avec Urs Brunner qui dessine si bien les épaves, puis avec un autre pharmacien, Jean-Pierre Joncheray, marqueront un tournant dans son parcours de plongeur, nourri pas la lecture des Portraits d'épaves et autres Naufrages en Provence.
Avec Jean-Pierre, il est à bonne école et s'initie à l'archéologie sous-marine, discipline qu'il pratique sur l'Archéonaute, la prestigieuse unité du DRASSM.

Une solide amitié, dès 1993, le lie avec André Grousset qui lui a fait partager quelques "premières" au-delà des 80 mètres. Les épaves connues seulement par les plongeurs-démineurs de la Marine Nationale dans le secteur de Toulon : Phoebus, Heinkel 111, Torpilleur Etoile, Cap Gros (Ex Sally of New-York), sont devenues maintenant des classiques de la plongée tek.

 

 (François, en rouge, entouré de ses amis amoureux d'épaves lors d'un stage à Marseille)
François Beaumont

LOCALISATION - ACCES

Ports d’accès : La Pointe-Rouge à 6,5 milles. La Ciotat à 9.5 milles
Position : Nord Ouest de l’îlot du Grand Congloué N 43° 11,149    E 005° 25,061 Europe 50-1.
Profondeur : 84 à 87 m

CREDIT PHOTOS SOUS-MARINES André GROUSSET
Reproduction interdite sans autorisation

Ce passionné d'histoire et d'archéologie est tombé amoureux de Marseille. Il parcourt inlassablement les eaux de la vieille cité phocéenne à la recherche de nouvelles épaves, pour les filmer, les dessiner et les identifier en plongeant aussi dans les méandres des archives. Il a retrouvé l'Anaïs C, fait connaître, entre autres, la Pigoulière et le Petit Saint-Do, mais sa plus belle découverte reste celle du patrouilleur allemand Guarani, coulé par 87 mètres de fond , au large des calanques.

Né en 1947, moniteur CMAS 1*, scaphandrier classe II mention B, François organisait régulièrement des "stages-épaves" aux Goudes à Marseille ainsi qu'en Mer Rouge sur la côte égyptienne.

 

Le 4 décembre 2009, François s'en est allé pour une "ultime plongée",   laissant derrière lui une grande tristesse et un "vide" pour les amoureux de "vielles tôles" que nous sommes. Toutes les personnes qui l'ont rencontré à Marseille, en Mer Rouge, à Scapa Flow entre autre, garderont en mémoire le regard passionné de François lorsqu'il parlait d'épave...