CERONS
- Nom : CERONS
- Type : Cargo de fret divers
- Nationalité : Française
- Construction : Lancé le 3 juin 1923 aux Ateliers et Chantiers de Seine-Maritime du Trait
- Propriétaire : Worms & Cie.
- Dimensions : longueur 65,84 m - largeur 9,36 m - prof. cale 3,87 m
- Tonnage : 1049 tx (brut)
- Motorisation : Machine Triple expansion du même constructeur
- Vitesse : 10,5 nœuds
- Armement : 4 canons de 100mm – 2 canons AA 37mm – Mitrailleuse – Grenades SM.
- Naufrage : 12 juin 1940 coulé par l’artillerie allemande devant Veules-les-Roses
- Coordonnées géodésiques : latitude : 49° 52,997' N - longitude : 00°48,091’ E
- Sister-ship : Léoville, Sauternes, Barsac
- Port d’attache : Le Havre
Au lendemain de la Grande Guerre, la Worms crée son propre chantier de construction navale :
Comme expliqué dans le début d’historique de la Compagnie Maritime Worms (Voir onglet dans fiche de l’Hypolite Worms), la guerre sous-marine durant la Première Guerre mondiale a sérieusement amputé les flottes commerciales des belligérants. Le gouvernement, va tenter de motiver les armateurs à venir reconstituer leur parc naviguant dans les chantiers français en promulguant quelques décrets : priorités de déchargements, monopoles de trafic… Divers avantages seront accordés aux navires français.
Le chantier du Trait va lancer le Cérons, 4ème navire de la série Léoville
(Archives Worms)
Durant le conflit, la Seine devient l’axe majeur de ravitaillement du pays. La Worms & Cie saisit l’opportunité d’acquérir 25 hectares sur cet axe pour une valeur symbolique et établir son propre chantier de construction navale. Le village du Trait se situe sur un tronçon de la vallée de la Seine complètement délaissé industriellement. L’implantation de l’entreprise va s'accompagner de la construction d'une importante cité-jardin pour loger le personnel.
Le chantier s’est doté de toutes les compétences et savoir-faire pour produire en totale autonomie un navire sur cale opérationnel dès la mise à l’eau. Pouvant entamer directement ses essais et programmes de validation, le navire peut débuter sa carrière commerciale rapidement, d’où un précieux gain de temps.
Les Ateliers et Chantiers de la Seine-Maritime avec leurs huit cales de lancement, (longues de 135 à 170 m), produiront au total 208 bateaux de tailles et de spécificités très diverses (Cargos, pétroliers, charbonniers, chalutiers…). Un commanditaire privilégié sera la Marine Nationale qui leur commandera de 1925 à 1966, 36 navires (types torpilleurs, sous-marins, pétroliers, dragueurs…).
En 1935, le chantier lance le Shéhérazade (166 m) de près de 19000 tonneaux, qui est alors le plus gros pétrolier du monde. Durant la Seconde Guerre mondiale, le chantier subit des bombardements. Les allemands vont y ordonner la construction de navires devront alors faire face à une soudaine lenteur de construction jamais rencontrée...
Le sommet technologique de l’entreprise sera atteint en 1964 avec le lancement du premier méthanier français le Jules Verne en présence du petit fils de l’auteur et de quatre ministres. L’entreprise, forte de 2500 salariés, qui a jusqu’à présent surmonté les différentes crises économiques va pourtant décliner rapidement. Une fusion s'opèrera avec les chantiers navals de La Ciotat en 1966 mais rien n’empêchera l’agonie douloureuse de l’entreprise en 1972. Cette fermeture fut un vrai drame social.
Par la suite, le site fut repris par la firme Technip.
L’ACSM va produire une série de quatre navires répondant aux besoins du trafic de marchandises diverses entre nos ports nationaux. Les deux premiers de cette série, le Léoville et le Sauternes, sont mis en service en septembre et novembre 1922 et les deux autres Barsac et Cérons prennent leur rang dans la flotte Worms & Cie en janvier et juin 1923.
En ce dimanche 5 juin 1923, il fait beau et la foule est venue nombreuse au chantier de construction navale du Trait assister au lancement du Cérons. Il ne s’agit pas de la mise à l’eau d’une coque mais d’un navire entièrement terminé. Ses chaudières sont d’ailleurs en chauffe depuis plusieurs heures et c’est par sa propre propulsion qu’il entamera la descente de Seine.
15h45, les câbles de retenue sont libérés et le cargo glisse progressivement vers dans le fleuve.
Deux remorqueurs venus de Rouen freiner le Cérons sur son aire et, larguant les remorques le navire part jusqu’à Villequier ou pour procéder au changement de pilote.
Le Cérons en chauffe sur sa cale (Archives Worms)
Le Cérons glisse vers le fleuve (Archives Worms)
Le Cérons est freiné par les remorqueurs (Archives Worms)
Le Cérons se libère pour descendre la Seine (Archives Worms)
A 18h00, le Cérons fait une pause à Tancarville pour y attendre une montée d’eau suffisante à la poursuite de sa route.
A 23h30, il accoste au Havre dans le bassin de la citadelle. Après cette courte croisière, les hommes sont satisfaits du navire et de sa machine.
Le lendemain, ce sera la visite de routine de la commission de mise en service.
Le mardi, le Cérons procède à des essais préliminaires en remontant sur lest vers Boulogne ou il accoste devant la concession Worms. Le navire reçoit la visite de l’ingénieur Véritas pour l’homologation. Une petite fuite d’eau a été remarquée sur la couture de chaudière bâbord, le matage de quelques rivets sera repris par le personnel. Le soir même, on commence à procéder au chargement de 1050 tonnes de ciment à bord du Cérons. Il convoiera jusqu’à La Pallice.
Le Jeudi, des essais de vitesse à mi- charge sont faits en mer.
Les ingénieurs du Trait et le personnel d’essai embarquent pour quelques heures par une mer forte vent debout. Le cargo les déposera au Havre avant de reprendre sa route vers la façade atlantique. Ils notèrent une légère baisse de rendement due au charbon non trié comme celui ayant servi à l’homologation (comme quoi, déjà en ce temps-là, les constructeurs comme dans l’automobile jouaient avec les paramètres…).
Le Cérons mène une carrière commerciale sans problème jusqu’à ce que le conflit éclate en septembre 1939. La marine française réquisitionne un grand nombre de navires pour les armer et les affecter aux escadres de patrouilleurs auxiliaires. Le Cérons et ses trois frères n’y échapperont pas.
Le cargo est dirigé sur Cherbourg pour devenir le patrouilleur auxiliaire P21. Le navire est entièrement recouvert de gris clair, la peinture règlementaire de la marine. On va supprimer ses baumes et treuils de charge au pied des portiques. Des renforts sont ajoutés sur les ponts qui recevront des pièces d’artillerie. La machine à gouverner arrière est supprimée pour libérer la plage de poupe qui recevra le matériel de grenadage.
Le Cérons va être doté de l’armement suivant :
- 4 canons de 100 mm (2 sur la plage avant et 2 derrière le château central)
- 2 canons de 37 mm antiaérien (modèle 1925) au pied du château
- 2 mitrailleuses Hotchkiss de 13mm (1 à la proue, 1 à la poupe)
- 2 mitrailleuses jumelées Hotchkiss de 8 mm sur le château
- 2 rampes arrières et 2 mortiers grenadeurs (40 grenades sous-marines)
- Fumigènes de camouflage.
Il est à noter que la disposition cet armement n’a pas été faite judicieusement. Avec ses deux paires de canons installés côte à côte, le Cérons ne pourra jamais se défendre qu’avec 50 % de sa puissance de feu. Les canons de 37 mm engoncés au milieu du navire n’ont qu’un faible angle de tir. A part quelques artilleurs, presque tout l’équipage (de 70 à 80 hommes) est constitué de réservistes sans grand entrainement issus de la marine commerciale.
Le 26 sepembre 1997 de Monsieur Edmont Gourbeau (Mécanicien à bord) nous a raconté les 144 jours de guerre du P21 Cérons jusqu’au jour fatal de Veules-les-Roses :
Tout d’abord, je me suis engagé dans la Marine Nationale en 1933 pour sept ans. Deux ans d’école pour devenir mécanicien chauffeur à Toulon.
J’ai navigué sur les torpilleurs en Méditerranée, puis en 1937 je suis parti en Extrême-Orient. Je suis revenu en France en 1939 via le Cap Bonne Espérance et Dakar.
Le 15 novembre1939, j’embarque à Cherbourg sur le patrouilleur auxiliaire P21. Ce bateau a pour mission d’escorter les convois et de chasser les sous-marins. il fonctionne grâce à deux chaudières alimentées au charbon qui fournissent en vapeur une grosse machine triple expansion.
Mon activité était d’assurer le fonctionnement de la machine. L’équipe de quart est constituée d’un chauffeur pour les chaudières et 2 hommes, comme mécaniciens, pour la machine.
Deux équipes alternent les quarts (2 x 8h00 et 2 x 4h00). Hors quart, chacun avait un poste de combat bien déterminé. Nous revenions souvent à notre port d’attache car il fallait se réapprovisionner en charbon et en eau. Le chargement du charbon, qui était en briquettes se faisait par passage de mains en mains.
Edmont Gourbeau en 1998
Notre activité se résumait en patrouilles constantes. En cas de doute sur la présence d’un sous-marin, nous lancions des grenades. Elles étaient si puissantes que le bateau devait s’éloigner à toute vapeur pour ne pas subir les effets de l’explosion. Ce genre de bateau par mauvais temps roulait et de tanguait beaucoup, cela dû au fait que ses lourds canons de 100 mm étaient répartis sur chaque bord. Un lestage par des gueuses s’est avéré nécessaire pour essayer de limiter ces effets de balancement.
C’est le 24 mai 1940 à 18h00 que quatre cargos (Sainte-Camillle, Céres, Monique-Schiaffino, Cap Talefneh) escortés de trois patrouilleurs auxiliaires (P21 ex Cérons, P135 ex La Nantaise, P22 ex Sauternes) quittent Cherbourg. Leur mission : Ravitailler puis finalement participer à l’évacuation des troupes piégées à Dunkerque.
Le lendemain 25 mai, les bâtiments qui passent au large de Calais, se font accueillir à coups de canons par les artilleurs du 19ème Panzer Corps Allemand. Duel d’artillerie sans conséquence, bien que de part et d’autre, les projectiles n’aient pas été ménagés.
Passé Gravelines, se sont les avions qui prennent la relève. Au soir, les bateaux mouillent au large de Boulogne. A peine l’ancre jetée, le Sainte Camille saute sur une mine et s’enfonce tout droit dans l’eau. Les 18 hommes sont récupérés par les embarcations du Monique-Schiaffino.
Les trois cargos finissent par avoir l’autorisation de rentrer au port mais aucun n’en ressortira ! Le Monique-Schiaffino saute vers 22h00 du fait d’une bombe et communique le feu à l’Aden » amarré à proximité. Le Céres avait subi le même sort à 18h30. Le Cap Tafelneh coulera le lendemain. Après la précipitation des événements, les états-majors durent admettre que le ravitaillement des troupes n’était plus possible sous cette forme qu’il fallait maintenant faire primer l’ordre d’évacuation du corps expéditionnaire britannique puis français.
Notre bateau et d’autres étions en attente le long d’une digue de Dunkerque, en état d’alerte constante et prêts au combat. Nous étions assaillis par des projectiles tant par terre que par air. En plus du risque des mines dérivantes, la coque du navire n’avait pas été démagnétisée et pourtant le danger des mines magnétiques parachutées aux abords des ports va s’accroitre lors de cette période d’invasion. Il fallait constamment assurer une veille pour parer les attaques de vedettes lance-torpilles venues de Belgique...
Nous nous défendions avec acharnement contre toute approche d’avions qui nous mitraillaient. De partout et sans arrêt c’était une pluie d’engins de guerre et certaines bombes tombaient à quelques mètres de notre bateau.
Du P21, on voyait les troupes en débâcle sur la plage, hommes et matériels voltigeaient en l’air lors des passes des Stukas.
Les patrouilleurs français, mis à contribution, commencèrent les convoyages vers Douvres. Le Douaisien à nos côtés qui transportait un millier d’homme sauta sur une mine magnétique Au total le 28 mai 1527 hommes avaient été transporté par les Français.
Le 28, en pleine nuit notre bateau appareille après avoir pris dans ses cales 400 hommes. Je me trouvais alors comme quartier maître mécanicien aux commandes de la machine à vapeur. Nous entendions constamment de fortes explosions et de la passerelle, on nous demandait s’il n’y avait rien, pas de voie d’eau ou autre....
Les manœuvres étaient constantes (av, ar, stop....). Du fait de l’encombrement de circulation et des navires coulés à éviter. Je portais le gilet de sauvetage, ce qui était obligatoire, mais conscient de la situation agitée autour du bateau, me sentant gêné par cette assez grosse ceinture, j’ai rapidement raisonné, me disant que si quelque chose arrivait je n’avais pas de chance de m’en sortir. La vapeur par le haut et l’eau par le bas et peut être les deux en même temps, je décidais donc de la retirer pour me permettre d’être plus à l’aise dans les manœuvres que je devais faire. C’était en fait dans l’intéret de tous ceux qui étaient à bord et de moi-même pour que le bateau s’en sorte bien. Le rapatriement des français a réussi et nous nous sommes retrouvés le lendemain à Cherbourg.
Le 8 juin 1940, le Cérons appareille de Cherbourg pour porter des munitions de 37 mm aux postes de DCA protégeant Le Havre. Le 9 au soir, nous repartons du port du Havre avec à notre bord près de 500 personnes qui seront débarquées à Cherbourg.
Le 10 juin au matin, nous retournons sur Le Havre... En cette période de débâcle, une grande confusion règne au sein de l’amirauté provoquant un manque de réactivité au niveau des directives. Le 11 juin vers 7h00, dans le port du Havre, amarré quai Joannès Couvert, le Cérons attend donc les ordres. Vers 21h00, il appareille enfin avec une vingtaine de navires de tous tonnages, (patrouilleurs, Terre-Neuvas, petits chalutiers), pour Saint-Valéry-en-Caux où une nouvelle poche d’encerclement se forme. Leur mission : Embarquer les contingents français et britanniques qui, reculant sous la poussée allemande, s’y retrouvent encerclés.
Le 12 juin 1940, à 03h15 arrivé devant Saint-Valéry-en-Caux, les combats s’y déroulent déjà depuis la veille au soir et des foyers d’incendies illuminent le port. Trop tard pour chercher à aborder. Un destroyer anglais qui croisait dans les parages, conduit toute la flottille en baie de Veules-les-Roses, à quelques milles au nord. Des groupes de soldats, acculés sur le front de mer, fuient par le cordon de galets au pied des falaises en suivant du regard au large la remontée de la petite escadre salvatrice.
Le mercredi 12 juin à 5 h 30, le Cérons s’avance à marche lente vers l’est de la plage de Veules-les-Roses. Il pleut mais heureusement la mer est calme. Le Sauternes s’est approché au plus près face à l’embouchure de la Veules et a commencé ses rotations avec ses canots à rames.
Les navires britanniques dont le Paschool sont plus efficaces dans leurs embarquements car dotés de chaloupes à moteur. Le commandant du Cérons décide d’avancer encore un peu vers la plage pour raccourcir la distance avec les hommes à évacuer. A 300 m de la plage à l’étale, le commandant fait mettre les embarcations à l’eau pour commencer les rotations d’embarquement.
De leur côté, les Allemands viennent de mettre en batterie plusieurs canons sur les falaises de Saint-Valéry-en-Caux.
Ils commencent à régler leurs tirs sur les navires pris pour cible devant Veules-les-Roses. Les artilleurs du Cérons vont riposter vaillamment avec un certain succès de leurs 100 mm (environ 300 obus seront tirés).
Durant ce temps, au milieu des gerbes d’eau, près de 300 soldats se sont hissés à bord grâce aux embarcations du navire (canots, youyous et même radeau à rames).
A bord du Cérons, le commandant Lucien Eve a maintenant une autre inquiétude, son hélice tourne dans le sable, s’est-il trop rapproché ? La position des bancs de sable et de galets qui bordent les platiers rocheux de chaque côté de la plage est très fluctuante et avec la marée, il faut se rendre à l’évidence, l’avant du patrouilleur est échoué.
Le commandant demande de l’aide au Sauternes. On fait passer avec bien des difficultés une remorque à ce dernier mais il ne pourra le déséchouer. La remorque sert alors de va-et-vient pour les canots des deux navires qui transbordent les 300 soldats du Cérons. Ils vont s’entasser avec les 900 hommes déjà embarqués sur le Sauternes.
Attendre la marée haute de 13 h 00sera sans doute intenable avec de nouveaux canons allemands qui pointent du haut des falaises Est.
Autant le Cérons n’offrait que sa face arrière aux pièces de Saint-Valéry-en-Caux à 7500 m, autant son flanc est offert aux redoutables 88 mm qui l’encadrent avec précision.
Le navire encaisse plusieurs obus dans sa coque dont l’un va neutraliser le canon de 100 mm avant tribord. Un chauffeur est tué par un éclat. Le portique arrière s’effondre.
Pourquoi le commandant n’a t-il pas donné ordre à son équipage de passer sur le Sauternes pendant qu’il en était encore temps ? A terre, les soldats britanniques n’ont pas compris la situation tragique du Cérons. Pourquoi ne leur envoie t-on plus de canots ? Faut-il rejoindre le navire à la nage ?
Vers 9h00, la majeure partie de la flottille a déjà fait son plein de soldats et doit s’éloigner sous la pression d’artillerie qui augmente du haut des falaises. Ils abandonnent sur place deux bateaux coulés (le petit caboteur hollandais Hebe qui a pris un obus sous la ligne de flottaison et un petit chalutier belge en bois) et le patrouilleur Cérons, immobilisé qui se défend avec ardeur.
Trois hommes seront encore fauchés sur les ponts par les obus.
Vers 10 h 00, le commandant fait monter les couleurs sur le portique et donne enfin l’ordre d’évacuation.
La machine est sabotée, les papiers brulés et les culasses des armes sont jetés par-dessus bord. Les Allemands vont s’acharner sur les malheureux. Un canot en bois avec 14 hommes à bord tente de s’éloigner vers le large quand il est touché par un char sur la falaise.
Malgré les morts et les blessés, ils réussiront tant bien que mal à colmater le trou dans la coque et les vaillants redoubleront d’effort sur les avirons pour s’éloigner de ce champ de tir.
Ce n’est que vers 11 h 40 avec l’arrivée du soleil, que le canot qui s’est éloigné vers le large n’est enfin plus pris pour cible. Se pensant enfin hors d’atteinte, les hommes rament plus calmement tandis que d’autres écopent ou prodiguent des soins vitaux aux blessés. Voici maintenant un avion qui apparait, horreur ! C’est un Allemand. Les hommes feignent d’être tous morts, l’avion effectuera quand même deux passes de mitraillage en rase-motte qui manqueront heureusement le canot.
Vers 12h30, ils apercevront enfin une fumée sur l’horizon, c’est le cargo Persia qui remorque déjà d’autres petits navires éclopés qui les prendra à son bord. Les rescapés seront déposés à Newhaven le 13 juin à 6h00 du matin. D’autres matelots accostant vers Sotteville n’auront pas leur chance, ils seront mitraillés par les allemands qui les attendent.
Enfin, l’évacuation est terminée quand un obus atteint les grenades sous-marines. L’explosion pulvérisera l’arrière du Cérons qui brulera un certain temps.
Une quarantaine de victimes sera à déplorer parmi l’équipage.
Les évacuations par la mer auront permis à un peu moins de 1100 hommes à Saint-Valéry-en-Caux et un peu plus de 3500 à Veules-les-Roses de gagner la Grande-Bretagne. Hélas le drame va couter encore deux navires puisque le caboteur Granville et le Train-ferry N° 2, faute d’information radio se présenteront dans la journée et seront accueillis par les tirs allemands.
L’épave du Cérons va permettre aux Veulais (et aux Allemands qui prélèveront leur tribut) de se chauffer l’hiver grâce aux grosses briques de charbon.
Foule de mobiliers et matériels divers seront aussi récupérés.
L’épave servira de cible aux batteries côtières et à l’aviation durant les années d’occupation.
Les domaines accorderont à l’entreprise Malsoute le démantèlement de l’épave après la guerre.
Les restes du Cérons lors de grandes marées en 1997
(Photo GRIEME)
Aujourd’hui, les vestiges du navire se trouvent environ à huit cents mètres du front de mer, dans le nord-est de Veules-les-Roses par 49° 53’030’’ N et 00° 48’070’’ E.
Une épave qui est découverte, lorsque les coefficients de marées dépassent 100. Même avec une bonne paire de bottes, il convient de rester prudent par rapport aux horaires et aux trous d’eau plus profonds qui bordent l’épave.
La corrosion et les assauts de la mer finissent de ronger les membrures. Les deux chaudières, dont une éventrée, ont roulé à l’extérieur de l’épave.
Pas mal de tôles acérées qui ne demandent qu’à entailler les mains et les pieds, voilà à peu près ce qui reste de visible aujourd’hui.
Le danger provient de ce que l’on ne voit pas. A savoir des munitions ensablées, notamment des obus pour les canons de 100 mm qui semblent être restés en grand nombre à bord. Malgré de nombreuses interventions des services de déminage, la probabilité pour que des explosifs soient encore présents dans l’épave est suffisamment forte pour qu’un arrêté interdisant la plongée ait été édicté depuis mai 1994.
Les vestiges de l’embiellage (Photo GRIEME)
Le Cérons devant Veules-les-Roses (Photo drone GRIEME)
Etendue des vestiges du Cérons (Photo drone GRIEME)
Parmi les vestiges de l’épave se trouvaient encore deux des canons de 100 mm jusqu’en 1995.
Lors d’une des dernières interventions des plongeurs démineurs du GPD de Cherbourg, ils ont été extraits et ramenés sur la plage pour les offrir à la commune.
Aujourd’hui, un monument a été érigé sur la falaise en souvenir de cette journée tragique ou des hommes ont sacrifié leur vie pour que d’autres hommes soient libres et continuent le combat.
Il est constitué du canon restauré et du 2ème fût à son pied. Peu avant l'inauguration, Edmond Gourbeau (vétéran mécanicien du bord) fit remarquer à la municipalité que le fait que les canons soient tournés vers la mer était une grave erreur qui portait préjudice à la mémoire de ses camarades disparus. Le mémorial fut alors immédiatement rectifié en les retournant vers la terre, comme à l'origine où ils pointaient vers l'envahisseur.
A droite, le Général Derek Lang qui fut fait prisonnier par les Allemands.
Le bateau coule et le vin aussi…
Vous connaissez très certainement le Sauternes, vin blanc moelleux réputé mais aussi nom de la commune de Gironde où il est produit, eh bien pour Cérons, il en est de même.
En effet, beaucoup de navires sortis du chantier de la Worms & Cie au Trait portaient des noms de vins prestigieux comme Château Laffite, Château Yquem (voir onglet « lancement » où sur les photos apparaissent ces deux grands navires sur cale à côté du Cérons), etc…
Un jour, en faisant ses courses, un Veulais, M. Lefebure découvrit un vin blanc « château Cérons » ! Il téléphona au propriétaire, M. Perromat, qui se trouvait être l’ancien maire de la commune et président de l’association gérant l’appellation Cérons.
Parallèlement, un des viticulteurs de cette commune qui s’était intéressé au naufrage du Cérons cherchait à prendre contact avec la commune de Veules.
De ces contacts est née une cuvée étiquetée à l’effigie du bateau, à l’initiative du syndicat des producteurs du Cérons. Ceux-ci furent bien sûr invités lors de l’inauguration du mémorial du Cérons le 12 juin 1998 où de grandes figures de la tragédie étaient présentes.
- Le Trait berceau de 200 navires de Maurice Quemin
- Rapport du 30 juin 1940 de M. Fournier (archives Marine Nationale)
- Rapport du 8 mai 1941 du Commandant Eve (ex Commandant du P21)
- Rapport du 8 janvier 1942 d’Yves Grouselle (Officier en second du P21)
- Souvenirs de M Edmond Gourbeau ancien Marin sur le P21
- Cols Bleus du 15 mars 1946
- Photos de mr Pierre Jeason de Saint-Valéry-en-Caux
- Photos et documents de Madame Danièle Paulmier et Mr Lefebure de Veules-les-Roses.
- Coupures de journaux locaux Le courrier Cauchois et Paris-Normandie.
- La victoire des convois de Maurice Gierre (Bibliothèque de la Mer) page 138.
- Registre Lloyd’s 1940
- « Veules – juin 1940 » de Marc Tabone & Paul Le Trevier
http://www.archeosousmarine.net/bdd/fichetech.php?id=845
80 ans plus tard...
12 juin 2020, retrouvez les derniers vestiges du Cérons