LE CIMENTIER
ENTRE PORQUEROLLES ET LA TOUR FONDUE DE GIENS
(Page avec séquence vidéo sous-marine haut débit hautement recommandé)
Mise à jour
16-Fév-2010 23:05
(Pointe du Langoustier/Phare de la Jeaune Garde)
Il y a un début à tout et un début n’est pas toujours glorieux ! Pour le novice, en matière de plongée sous-marine et en particulier à celui qui rêve de tôles et de ferrailles, rares sont les vestiges qui offrent ce début glorieux ! C’est l’avarie de barre qui a toujours lieu proche de l’endroit le plus agité du couloir maritime, c’est le commandant de U-Boot soucieux de sa sécurité qui torpille le cargo le plus loin possible de toutes côtes, c’est la mine dérivante qui rencontre la coque du cargo au dessus de l’endroit le plus profond de la passe, etc, etc... ! Ce qui aura pour effet de donner aux plongeurs que nous sommes les pires difficultés pour nous rendre sur ces lieux chargés «d’Histoire».
Vu sous cet aspect, le «Cimentier»
est une véritable bénédiction, un trésor sous-marin pour les clubs de plongée
locaux, au sens propre comme au sens figuré, une opportunité extraordinaire pour
les associations tendant à promouvoir la plongée sur épave. Imaginez, un
bateau immergé entre 5 et 15 mètres d’eau à la pointe ouest de l’île de
Porquerolles au pied du phare de la Jeaune
Garde. Une épave aux ouvertures larges permettant une pénétration aisée
et sans risque dans ses entrailles, une faune et une flore présentent jusque
dans ses moindres anfractuosités.
FINALEMENT LA MAGIE OPERE MEME DANS 10 M D'EAU
Pour susciter l’intérêt, aiguiser la curiosité, inciter à la découverte rien n’est moins important que la documentation, les archives et les témoignages. Quel plongeur en effet n’est pas demandeur avant une exploration d’un briefing aussi complet que possible sur l’histoire du vestige qu’il va visiter ? Concernant le Cimentier, c’est là que le bât blesse ! Rien… ou si peu de chose ! Les clubs locaux s’accordent à le présenter comme une barge ou un chaland en ciment coulé ici durant le dernier conflit mondial afin de couper l’effet des vagues que font naître les tempêtes, les jours de mistral !
Mais rien n’est moins sûr… pas de dates, pas de circonstances…l’absence de superstructures, de moteurs, d’hélice, pas la moindre plaque d’identification !
Et pourtant… des milliers et des milliers de plongées sont réalisées sur ce vestige ! Du baptême à l’explo du plongeur confirmé… de la plongée de réadaptation en passant par la première descente sur une épave, il est rare qu’une journée ne se passe sans qu’une palanquée ne survole la coque en ciment ou envahisse les cales ajourées du Cimentier.
En ce mois de Juin, le GRIEME n’a pas fait exception, et tous, du plus jeune au plus vieux, du plus expérimenté au moins aguerri, photographe ou cameraman ont embarqués direction l’extrémité ouest de Porquerolles pour la première plongée du stage sur le Cimentier.
Je ne vous cache pas que quelques uns ont exprimé la plus
extrême réserve quand à leur envie express de s’immerger sur ce «caillou»,
prétextant qu’ils étaient là pour la découverte d’épave et non de «morceaux de
mur». Mais la mer d’huile, le soleil, la chaleur de la presqu'île’île de
Giens, et l’envie d’aller faire des bulles l’ont rapidement
emporté et quelques minutes plus tard nous étions mouillé à l’aplomb de l’épave.
Les consignes de notre directeur de plongée se sont limitées à un
laconique : «Méfiez vous de pas vous piquer le cul en
sautant !»
Bon d’accord ! 5 mètres de profondeur ça laisse de
la marge… mais de la surface on devine les vestiges et ce qu’on distingue incite
à la prudence. Dans une joyeuse bousculade et dans le plus grand désordre, tout
le GRIEME se retrouve à patauger au dessus de ce que je dois
bien admettre ne nous inspire pas outre mesure et ne nous motive pas au plus
haut point. Comme il faut bien y aller, chacun ayant retrouvé son binôme, les
«canards» se succèdent nous entraînant si ce n’est vers des profondeurs
inviolées, du moins, quelques mètres plus bas dans une eau limpide et tiède.
Dès les premières secondes de l’immersion, la magie comme à l’habitude,
opère ! Nous nous laissons envahir par la beauté du lieu et c’est avec un réel
bonheur que nous nous lançons dans une exploration poussée !
La première chose qui me frappe, c'est finalement le danger sournois que présente cette épave pour nos combinaisons ! Dans sa partie la moins profonde, là où l’épave est encastrée dans la roche, ce sont des dizaines et des dizaines de pointes acérées qui guettent nos parties charnues et nos mains baladeuses.
Prudence de rigueur donc et stabilisation optimum, notre portefeuille a tout à y gagner ! L’épave se découvre à nous dans son intégralité, et tout naturellement nous nous dirigeons vers la partie la plus profonde 16 mètres, c’est à ce niveau que repose la poupe sur un surplomb rocheux, et c’est de là, qu’à contre-jour, j’imprime images sur images dans la carte mémoire de mon APN (Appareil Photo Numérique).
Une large ouverture à l’arrière s’offre à nous… impossible de
résister à la tentation, d’autant que si chaque épave que nous avons exploré
nous avait offert tant de possibilités de pénétration, elles n’auraient
rapidement plus rien à nous cacher. Bien sûr, à l’intérieur il n’y a rien à
découvrir si ce n’est l’architecture de la construction et l’ambiance toute
particulière qu’offre les ouvertures laissant pénétrer les rayons du soleil… de
ce coté là, c’est bien une épave !
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Le passage entre les deux cales se fait sans difficulté C’est en toute simplicité que l’on ressort à environ huit mètres de profondeur au milieu des débris, des plaques de ciment et des pointes acérées des fers à béton. A vrai dire, on a vite fait le tour du cimentier, son architecture est simple et les espoirs de découvertes très limités.
Pour «vendre» le Cimentier, les clubs de la presqu'île’île vantent la faune qui la fréquente. Bien que ce ne soit pas la vocation première du GRIEME et au risque de m’entendre reprocher de perdre et mon temps et «la pellicule», je trouve là une bonne excuse pour continuer ma plongée. Effectivement, l’épave regorge d’animaux, de vers, de nudibranches qui ne demandent qu’à se laisser «tirer le portrait !»
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Mon ordinateur affiche 59 minutes d’exploration lorsque je remonte sur le pont de notre support de plongée. 59 minutes de plaisir simple et coloré, à l’image du Cimentier. 59 minutes à la portée de tous et en particulier à ceux que la «plongée épave» attire… parce que le Cimentier est bien une épave, et ces plongeurs là ne s'y sont pas trompé... autres regards, autres découvertes, autres imaginations !
Comme vous l’avez constaté, pas grand chose sur l’histoire de ce navire qui puisse satisfaire la curiosité d’un «Griemeux». Toutefois, le matériaux même qui servit à la construction est suffisamment rare et étonnant pour que nous nous y intéressions un moment.
En fait, c’est à moins d’une centaine de kilomètres à vol d’oiseau et il y a presque 200 ans qu’est née l’idée même de la réalisation du Cimentier (du moins des navires en ciment) . Cette idée, c’est dans la tête d’un agriculteur du Var, un certain Joseph Louis LAMBOT né en 1814 à Montfort sur Argens qu’elle trouve son origine. Il s’installe dans son domaine à Miraval en 1841 et construit, grâce à un mélange de ciment et de tiges de fer, des caisses pour le stockage de ses oranges, des réservoirs d’eau et une barque afin de se promener sur l’étang de sa propriété.
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Cette invention, brevetée le 30 janvier 1855 lui vaudra jusqu’à l’heure actuelle d’être reconnu comme le père du ciment armé, mais passera totalement inaperçue lors de sa présentation à l’exposition universelle de Paris en 1855. L’invention est reprise par un certain Joseph MONIER, horticulteur de son état qui, grâce à de nombreux brevets, améliore le procédé.
L’idée n’est pas si mauvaise et fait son chemin. En Italie, dans la dernière décennie du 19ème siècle, l’ingénieur Carlo GABELLINI réalise des coques composées d’un ensemble complexe de mortier, de tiges et de treillis métalliques.
En Allemagne, du coté de
Franckfort, ce sont des chalands et une flotte de péniches
ayant pour certaine une capacité de 1400 tonnes qui sont construite suivant ce
procédé et qui sont affectées au service commercial.
Même en Amérique, on retrouve trace de ces méthodes de fabrication. Un chaland de 525 tonnes est construit en 1910 à San-Francisco ainsi que dans chalands de taille plus modeste utilisés dans le canal de Panama.
La Première Guerre Mondiale apporte son lot de pénurie et le manque de métaux donne «un coup de pouce» à la construction de coque en béton.
En France, plus de 100 péniches de rivière, chalands de haute-mer ayant une jauge de plus de 100 tonnes seront mises en service. A noter que l’illustre ingénieur Eugène FREYSSINET, inventeur du «béton pré-contraint» en 1928, participera à la réalisation de ce type d’embarcation.
Site à visiter pour mieux comprendre
Aux Etats-Unis, pays de la démesure, on ira jusqu'à construire des coques en béton de 135 mètres de long et de plus de 7500 tonnes de capacité. Le pétrolier SS SELMA est lancé le 28 juin 1919. Il repose désormais devant Galveston au Texas.
Le pétrolier SS Selma
Le SS ATLANTUS est mis en service le 5 décembre 1918. Il servira au rapatriement des troupes américaines vers les Etats-Unis à la fin du conflit. Son épave est visible à Sunset Beach, Cap May dans le New-Jersey.
Le SS San Pasqual est mis à l’eau le 28 juin 1920. Il commence sa carrière en tant que pétrolier. Après des fortunes diverses, il sert de prison pour des soldats capturés par l'armée de Che Guevara durant la révolution cubaine. Transformé en hôtel flottant, il est maintenant abandonné.
Puis vint le second conflit mondial du 20ème siècle qui permit aux réalisations en béton de se distinguer et en particulier lors de l’opération OVERLORD.
En effet, 2 ports, le MULBERRY A en face St Laurent sur Mer et le MULBERRY B en face d’Arromanches ont été réalisés afin de permettre le débarquement des troupes et du matériel. Ces ports artificiels étaient constitués de digues formées par des blockships (vieux bateaux coulés), des caissons métalliques (les bombardons) et enfin les fameux caissons PHŒNIX.
C’étaient d'imposants caissons en béton, d'une forme parallélépipède et cloisonnés à l'intérieur. Il fût conçu 6 modèles de caissons, du plus petit pesant 1670 tonnes, au plus gros de plus de 6000 tonnes avec une longueur de 70 m, une largeur de 15 m et une hauteur de 20 m. Sur place, ces caissons étaient remplis d'eau à l'aide de pompe et seule la partie haute émergeait des flots, formant ainsi des digues de protection et des jetées.
Les 212 caissons Phœnix furent construits dans l'estuaire de la Tamise et à Southampton. Dès le 7 juin, ils furent remorqués à travers La Manche jusqu'aux côtes normandes à la vitesse de 8 km/h.
En 1942, Pier Luigi NERVI, ingénieur architecte de profession met au point le ferro-ciment. Grâce à ce produit économique et surtout ayant la capacité de se déformer sans se briser, il construit son propre bateau, un ketch de 12 mètres… le NENNELE.
Ce ketch sera à l’origine d’une multitude de petits bateaux de plaisance à coque en béton construit depuis avec ce procédé et en majeure partie par des amateurs.
OU VOIR ENCORE DES BATEAUX EN BETON ?
Les péniches du canal de la Martinière
Ces péniches en béton datent du début du XXème siècle et servirent au transport de céréales sur le canal de la Marinière (commune de Pellerin - 44)
(Source : HUB-hub-hublog.blogspot.com)
Le port artificiel d'Arromanches
Incontournable ! Les vestiges du port artificiel d’Arromanches dans le Calvados. (Source WIKIPEDIA)
La péniche chapelle "JE SERS"
En 1919, sur la commune d’Anfreville dans l’Eure est construit un chaland de 70,26 mètres de long pour 8,10 mètres de large.
Ce chaland en béton est destiné au transport de charbon. Il reçoit comme nom de baptême celui d’une commune de Belgique : LANGEMARK. Il sera acheté le 8 avril 1936 par l’Entraide Sociale Batelière fondée par l’Abbé Joseph BELLANGER, rebaptisé «JE SERS» et transformé en chapelle flottante.
Il est
toujours aujourd'hui’hui paroisse des mariniers et lieu d’aide sociale,
Promenade François Mitterrand à Conflans Saint
Honorine.
FINALEMENT !
Le Cimentier de la Jeaune Garde, n’est peut être pas seulement qu’un tas de béton à la pointe d’une des plus belle île de France ! C’est aussi un vestige plutôt rare d’une invention bien française et qui a eu son importance dans l’histoire. Peut être que la lecture de ces quelques lignes vous aura permis de découvrir ce vestige sous un autre angle et donnera à votre plongée un attrait que vous n’auriez jamais imaginé… c’est du moins notre souhait au travers de ces quelques informations.
Et puis, ultime raison, et pas des moindre, ce navire n'a toujours révélé sa véritable identité et son histoire ! Alors, tout cela vaut bien un détour et qui sait, peut-être trouverez-vous la "clé" qui ouvrira la porte du passé du Cimentier.
SEQUENCE VIDEO SUR LE CIMENTIER AVEC LE GRIEME
Musique vidéo GRIEME du Cimentier : Frédéric DAUCHEL
Découvrir la séquence vidéo signée François !
DES NAVIRES EN BETON LE LONG DE LA COTE D'ALBATRE
(Photo Mathieu Vandenavenne)
C'est sur la Côte d'Albâtre que nous terminerons cette fiche sur le Cimentier, navire en béton ! En effet, non loin du Havre, de l'ancien terminal pétrolier de Saint-Andrieux se trouvent posées sur le long de la plage les restes de plusieurs épaves (trois) également en béton.
C'est à quelque encablures d'une ancienne base de l'OTAN construite dans les années 60 durant la guerre froide que reposent ces navires dont l'histoire nous est actuellement inconnue. La base de l'OTAN était destinée au stockage des volumes de pétrole débarqués en mer et acheminés jusqu'au site par oléoduc. Ces épaves avaient-elles un lien avec ce site stratégique ?
Aujourd'hui, ces locaux sont occupés par l'association de défense de l'environnement Aquacaux que le GRIEME remercie pour nous avoir ouvert les portes de leurs installations.
Tout cela n'est pas sans évoquer le "Cimentier de la "Jeaune Garde" coulé à l'extrêmité ouest de Porquerolles... structures, matériaux et les innombrables pointes d'acier qui hérissent ces épaves.
Nous les avons parcourues en long et en large pour vous, multipliant les images ! Nous consacrerons prochainement une fiche spécifique à ces épaves un peu particulières. Nous nous arrêterons à l'occasion également sur l'épave du LEE S OVERMAN dont les vestiges émmergent quelques centaines de mètres plus au nord.
REMERCIEMENTS
Structurae.de
Livre la naissance du ciment de Joseph Monier
Ulb.ac.be
Overlord44.free.fr
concretesships.org
Wikipedia
Lapierreblanche78.free.fr
Entreseineetoise.free.fr
Un site également intéressant à découvrir
Union Industrielle et Maritime
Photos sous-marines et terrestres :
Musique vidéo GRIEME du Cimentier : Frédéric DAUCHEL
GRIEME -
Dominique RESSE & Dominique MAZIER
Photo aérienne du Havre : Mathieu VANDENAVENNE
Photos militaires hélico : Luc JEROME